MÉMOIRE DE L’UNION DES PRODUCTEURS AGRICOLES

CONSULTATION PRÉBUDGÉTAIRE FÉDÉRALE 2011

L’Union des producteurs agricoles

En créant l’Union catholique des cultivateurs en 1924, devenue en 1972 l’Union des producteurs agricoles (UPA), les agriculteurs et les agricultrices du Québec ont résolument opté pour l’action collective, et cet engagement ne s’est jamais démenti. Ils se sont donné ainsi un syndicalisme vigoureux, c’est-à-dire un mouvement autonome voué à la défense de leurs intérêts et à la promotion de l’agriculture et de la forêt privée.

Au fil de son histoire, l’UPA a travaillé avec acharnement à de nombreuses réalisations : le crédit agricole, le coopératisme agricole et forestier, l’électrification rurale, le développement éducatif des campagnes, la mise en marché collective, la reconnaissance de la profession agricole, l’implantation de l’agriculture durable et même le développement de la presse québécoise avec son journal La Terre de chez nous, etc.

L’action de l’UPA s’inscrit au coeur du tissu rural québécois; elle façonne le visage des régions à la fois sur les plans géographique, communautaire et économique. Maximisant toutes les forces vives du terroir québécois, l’action collective du syndicalisme agricole et forestier a mis l’agriculture et la forêt privée du Québec sur la carte du Canada et sur celle du monde entier.

Aujourd’hui, l’UPA regroupe 16 fédérations régionales et 25 groupes spécialisés. Elle compte sur l’engagement direct de plus de 3 000 producteurs et productrices à titre d’administrateurs. Son action trouve des prolongements aussi loin qu’en Europe, dans ses interventions auprès de l’OMC, à réclamer l’exception agricole au nom de la souveraineté alimentaire ou en Afrique pour le développement de la mise en marché collective par le biais de sa corporation UPA Développement international.

Réunis au sein de leur Union, les 42 424 agriculteurs et agricultrices québécois investissent, bon an mal an, quelque 630 millions de dollars dans l’économie du Québec. Les 35 000 producteurs de bois, quant à eux, récoltent annuellement environ 6 millions de m3 de matière ligneuse pour une valeur de plus de 300 millions, contribuant ainsi aux 73 000 emplois directs que génère l’industrie forestière en région.

Dans la même veine, plus de 30 000 exploitations agricoles, majoritairement familiales, procurent de l’emploi à plus de 61 000 personnes. Chaque année, le secteur agricole québécois génère des recettes qui avoisinent les 7,5 milliards, ce qui en fait la plus importante activité du secteur primaire au Québec et un acteur économique de premier plan, particulièrement dans nos communautés rurales.

Avec l’UPA, les agriculteurs et agricultrices du Québec de même que les producteurs forestiers se sont donné un outil qui leur permet de maîtriser leur destin. Ils sont fiers de travailler collectivement à la noble tâche de cultiver et de nourrir le Québec, lui procurant ainsi son indispensable souveraineté alimentaire, tout en contribuant significativement à son développement durable.

L’AGRICULTURE, UN INVESTISSEMENT

L’agriculture au Québec sert bien nos consommateurs et contribuables. Elle est créatrice d’emplois et de richesse. En plus d’une production alimentaire locale de qualité, les quelque 30 000 fermes québécoises ont par leurs activités des répercussions importantes sur notre économie.

En 2007, selon une étude rendue publique par la firme de consultants ÉcoRessources[1], la production et la transformation des produits agricoles généraient un total de 174 285 emplois directs, indirects et induits, pratiquement partout en province. La création de richesse provenant de ces secteurs (PIB) était de 13 milliards de dollars, procurant des revenus directs de taxation de 2,2 milliards de dollars au Québec, de 1,4 milliard de dollars au Canada et de 319 millions de dollars dans les municipalités. Une fois les subventions provinciales et fédérales retranchées, c’est près de 3 milliards de dollars de revenus par année qu’empochent les gouvernements de ces secteurs d’activité qui contribuent davantage au PIB de la province que les secteurs de la restauration et de l’hôtellerie réunis.

Toujours selon cette étude, un investissement de 100 millions de dollars dans le secteur de la production agricole crée 1 042 emplois et rapporte plus de 75 millions de dollars en PIB. Ce sont plus d’emplois et de retombées économiques que chacun des secteurs suivants :

  • l’industrie de la construction;
  • les finances et les assurances;
  • l’extraction minière, pétrolière et gazière.

On comprend donc toute l’importance que revêt l’agriculture dans une perspective de développement économique. Et cela est d’autant plus vrai pour les nombreuses régions rurales du Canada pour lesquelles l’agriculture est souvent le moteur de développement.

Par ailleurs, dans un contexte où la population mondiale atteindra les neuf milliards de bouches à nourrir en 2050, il devient primordial d’assurer la pérennité du secteur agricole. Et pour cela, il importe de veiller à ce que l’environnement dans lequel œuvrent les entreprises agricoles offre un horizon de stabilité et de rentabilité propice à leur développement.

1.PROGRAMMES DE GESTION DES RISQUES AGRICOLES

Les programmes actuels de gestion des risques des entreprises agricoles canadiens ne supportent pas adéquatement les productions qui connaissent des crises qui perdurent sur plusieurs années. À preuve, les sommes versées au travers du programme Agri-stabilité sont en décroissance pour le secteur porcin alors que celui-ci vit la crise la plus importante de son histoire. Cette situation, combinée à la hausse des prix dans les céréales, fait en sorte que le gouvernement fédéral a investi de moins en moins d’argent dans le secteur agricole au cours des dernières années.

Selon les données tirées des états financiers d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, son coût de fonctionnement net est en forte diminution, passant de près de trois milliards de dollars pour l’exercice se terminant au 31 mars 2008 pour se chiffrer à 2,4 G$ et 2,3 G$ pour les années 2009 et 2010 respectivement. Cette baisse est attribuable à la diminution des charges reliées au volet des programmes de gestion des risques de l’entreprise. Lorsque l’on regarde les données de Statistique Canada, on constate en effet que les montants versés dans le cadre du programme Agri-stabilité, en incluant les sommes résiduelles versées au Programme canadien de stabilisation du revenu agricole (PCSRA), ont diminuées de moitié, passant de 1,7 G$ en 2008 à seulement 850 M$ en 2010; 60 % de ces sommes étant à la charge du gouvernement fédéral.

Cette situation nous préoccupe grandement car plusieurs secteurs de productions agricoles, notamment le secteur animal, vivent des années difficiles et les aides ne sont pas au rendez-vous. Le programme AgriFlex, tel qu’il avait été élaboré et proposé au gouvernement par les agriculteurs et les agricultrices canadiens, aurait eu la flexibilité nécessaire pour répondre adéquatement aux crises actuelles notamment en permettant d’investir des sommes d’argent par le biais des programmes provinciaux de gestion des risques.

Malheureusement, lors de l’annonce de son lancement par le gouvernement fédéral, celui-ci a dénaturé cette notion de flexibilité. Dans les faits :

  • Les provinces ne peuvent allouer les sommes consenties au nouveau programme AgriFlex dans leurs programmes de sécurité du revenu;
  • à l’échelle canadienne, l’enveloppe de 500 M$ sur cinq ans consacrée à Agri-Flex est 10 fois moindre que les besoins exprimés par les producteurs, lesquels s’établissaient à 5 G$ sur cinq ans. Mentionnons, à titre de référence, que les aides spéciales versées par l’État entre 2003 et 2007 ont été de plus de 1 G$ par année.

Si le gouvernement fédéral choisit de ne pas doter AgriFlex des fonds suffisants et de la flexibilité nécessaire pour permettre aux provinces de gérer adéquatement leurs programmes de sécurité du revenu, il doit veiller à ce que son programme Agri-stabilité soit doté d’une enveloppe suffisante et de mécanismes efficaces. Il est essentiel de rendre celui-ci prévisible, plus généreux, notamment pour les entreprises ayant des marges négatives et plus efficace lors des baisses de marges prolongées. Nos demandes en ce sens sont également partagées par la Fédération canadienne de l’agriculture (FCA).

RECOMMANDATION NO 1 - PROGRAMMES DE GESTION DES RISQUES AGRICOLES

  • Doter l’enveloppe dédiée aux programmes de gestion des risques de l’entreprise d’un budget reflétant les besoins réels et au moins égal à son niveau de 2008.
  • À défaut d’ajuster le programme AgriFlex, intervenir rapidement, et de manière efficace, dans les secteurs qui vivent actuellement des crises prolongées, dont notamment le   secteur des viandes, afin d’éviter leur déstructuration et la fermeture de milliers d’entreprises agricoles.
  • ajuster le programme Agri-stabilité afin qu’il réponde davantage aux besoins des producteurs agricoles en apportant les correctifs suivants :
  • retirer le critère de viabilité appliqué aux marges négatives;
  • permettre aux agriculteurs d’avoir le choix de se prévaloir soit des 15 % supérieurs de la couverture de la marge de référence au programme Agri-stabilité, ou soit de      participer au programme Agri-investissement;
  • retenir le montant le plus important entre la moyenne olympique ou la moyenne des    trois dernières années pour l’établissement de la marge de référence (cette option assurerait des paiements à certains producteurs qui n’y avaient pas droit en vertu de la moyenne olympique et elle permettrait aussi de verser davantage à ceux qui étaient déjà admissibles);
  • augmenter la couverture des marges négatives de 60 % à 70 %.
  • À moyen terme, s’assurer que le programme Agri-stabilité intervienne adéquatement en cas de crise prolongée.

2. MATIÈRES À RISQUES SPÉCIFIÉS (MRS) - AIDE AUX ABATTOIRS

Depuis 2006, la Fédération des producteurs de bovins du Québec est propriétaire de Levinoff-Colbex, le plus gros abattoir de bovins de réforme dans l’est du Canada.

L’implication collective des producteurs de bovins de réforme traduit leur volonté de s’investir plus loin dans la filière pour assurer une meilleure commercialisation de leurs produits et tirer davantage de revenus du marché. Afin d’atteindre ces objectifs, une filière bovine forte ne peut dépendre uniquement des marchés d’exportation pour étaler ses produits. L’épisode douloureux de l’ESB nous l’a enseigné.

L’entreprise Levinoff-Colbex est un actif indispensable dans l’Est canadien :

  • pour sécuriser l’écoulement des bovins de réforme;
  • pour soutenir le prix aux producteurs;
  • pour développer le marché des bouvillons.

Or, en juillet 2007, le gouvernement du Canada adoptait une réglementation très stricte sur les matières à risque spécifiées (MRS), afin d’enrayer l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) au Canada.

La réglementation américaine, mise en place en 2009, s’avère moins coûteuse et moins sévère que la réglementation canadienne. Les impacts financiers sur les abattoirs canadiens réduisent leur compétitivité par rapport aux concurrents américains. La non-harmonisation engendre des coûts supplémentaires que les producteurs et l’industrie canadienne ne peuvent soutenir.

Selon une étude menée par le Conseil des viandes du Canada, la réglementation canadienne entraîne des frais de fonctionnement aux abattoirs évalués à 31,90    $/tête pour l’année 2010, à 27,50$/tête pour l’année    2011 et à 22,50   $/tête pour l’année  2012. Pour l’entreprise Levinoff-Colbex, l’iniquité de la règlementation engendre des frais additionnels de l’ordre de 3,5 à 4 M$ annuellement.

À cause des frais reliés à la gestion des MRS, des abattoirs canadiens ferment carrément leurs portes, diminuent leur production ou connaissent de graves difficultés financières. Pour le Québec, Levinoff-Colbex est actuellement à restructurer son bilan financier et l’appui du gouvernement canadien est essentiel afin d’assurer la pérennité de l’abattoir à long terme.

À cet égard, en plus des aides pour couvrir les frais additionnels générés par les MRS, il est essentiel que le gouvernement prolonge l’échéance des sommes accordées dans le cadre du Programme d’amélioration de l’abattage (PAA) au 31 décembre 2012. Ce report est essentiel à la réalisation du plan de relance de l’abattoir. Cette aide financière permettra à Levinoff-Colbex de renforcer substantiellement sa compétitivité dans le secteur des viandes rouges.

RECOMMANDATION NO 2 - MRS - AIDES AUX ABATTOIRS

  • Dans ce contexte, le gouvernement du Canada doit renouveler le programme de      compensation financière sur les MRS de 25 M$ offerts en 2010 afin de couvrir les frais      de production supplémentaires inhérents à la réglementation canadienne sur les MRS et   maintenir ce programme d’ici à ce que les réglementations canadiennes et américaines soient harmonisées.

3. RÈGLE ANTI-ÉVITEMENT FISCAL APPLICABLE AUX TRANSFERTS D’ENTREPRISES FAMILIALES Le transfert d’une entreprise agricole peut s’effectuer par la vente de l’entreprise à un tiers, à des employés-clés, mais dans la grande majorité des cas, il s’agit d’un transfert à un des membres de la famille.

Il est important que les gouvernements s’assurent de mettre en place toutes les conditions pour favoriser la rentabilité et la continuité des entreprises familiales. Or, il appert que le système fiscal canadien favorise le transfert des entreprises à des tiers plutôt qu’aux membres de la famille.

Chaque particulier bénéficie d’une déduction pour gains en capital de    750 000   $ lorsqu’il dispose de biens agricoles admissibles dont des actions d’une société agricole familiale. Lors d’un transfert entre personnes apparentées, pour bénéficier de sa déduction pour gains de capital, le vendeur-actionnaire doit vendre directement ses actions à l’acheteur apparenté plutôt que de procéder par fusion de sociétés par actions. Cette situation fait en sorte que l’acheteur-apparenté devra payer le vendeur avec ses propres liquidités sur lesquelles il aura dû payer des impôts personnels plutôt que d’utiliser directement les liquidités générées par l’entreprise (s’il y avait eu fusion).

Au final, ce processus entraîne des coûts fiscaux importants pour l’acheteur apparenté, nécessitant des liquidités jusqu’à 50 % plus importantes que si la vente avait été faite à un tiers.

Afin de rendre le système fiscal plus équitable, des allégements devraient être apportés à la législation pour faciliter les transferts des entreprises agricoles au sein d’une même famille (enfant, parent, frère, sœur).

RECOMMANDATION N O 3 - MESURES FISCALES

Exempter de l’application de l’article 84.1 LIR les entreprises répondant au critère de société agricole familiale prévue dans la Loi de l’impôt sur le revenu.

CONCLUSION

Dans le contexte actuel, l’Union des producteurs agricoles est grandement préoccupée par la question de l’intervention de l’État dans le secteur agricole. À cet égard, l’Union tient à remercier le Comité permanent des finances de la Chambre des communes de prendre le temps d’analyser les recommandations que nous lui soumettons dans le présent mémoire.


[1]      ÉcoRessources Consultants, Retombées économiques de l’agriculture pour le Québec et ses régions, novembre 2009